1880 : le conseil municipal vote l’achat d’une effigie de la République

En parcourant les archives…

République… et Pétain 

 

 

Extrait du registre des délibérations

Après la stabilisation du régime républicain, la plupart des municipalités ont voté l’installation d’une effigie de la République, généralement un buste mis dans la salle du conseil municipal.

A Saint-Antonin, la décision a été prise en 1880 : pour 50 francs, un buste en plâtre signé Théodore Doriot a été choisi. Cette effigie qui est visible au premier étage de l’hôtel de ville mérite quelques commentaires. (cliquez sur une des images pour ouvrir la galerie d’images).

La ville a choisi le premier modèle exécuté par Théodore Doriot, un élève de Rude qui s’est spécialisé dans les oeuvres patriotiques.
 Sur cette version, qui précède la représentation classique de 1879, Marianne ne porte pas le bonnet phrygien (qui est connoté plus révolutionnaire), mais elle est couronnée par des épis de blé, encadrant une étoile à cinq branches, chargée de guider le peuple. Elle est revêtue d’une cuirasse guerrière (allusion à la situation d’après 1870 et à la perte de l’Alsace Lorraine).

Sur son collier sont suspendus des médaillons représentant les secteurs d’activité du gouvernement.

Signature (sur le piédouche, à droite) : TH. DORIOT SCULPT.

Initiales (sur la face du piédouche) : R F entourant une balance et un faisceau de licteur.

Devises : AGRICULTURE, COMMERCE, BEAUX-ARTS, INSTRUCTION, JUSTICE, SCIENCE, MARINE, INDUSTRIE (sur les médailles du collier), HONNEUR ET PATRIE (sur le bandeau).

Normalement, les effigies de la République sont faites pour dominer la salle du Conseil et rappeler les valeurs de la Nation. Ici, elle est sur un meuble à hauteur d’homme dans un coin de la galerie du premier étage. Elle est blanche (alors que certaines mairies avaient acquis des versions “colorées” en plâtre peint. 

Ce buste n’a pas été inclus dans l’inventaire du patrimoine mobilier (base Palissy) alors que dans d’autres régions en France, c’est le cas.

Le buste est légèrement endommagé (un coin du socle est ébréché et l’étoile qui surmonte la tête a perdu un rayon).

D’après les inventaires faits dans d’autres régions, le buste était proposé à la vente par le marchand parisien Dorville. Doriot avait édité son oeuvre en plusieurs matériaux, allant du plâtre (le moins cher) au bronze.

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Sous le Régime de Vichy, les effigies républicaines avaient été écartées sur instruction officielle. La République est abolie et remplacée par l’Etat français. On ne sait rien de ce qui est advenu du buste  à Saint-Antonin pendant ces années-là.

Et en 1943, le conseil municipal, sollicité par le Comité de la Propagande du Maréchal qui propose l’achat d’un buste du chef de l’Etat au prix de 525 francs, décline la proposition avec un argument qui se veut non politique (difficile de dire non !) mais esthétique (“la valeur de cette oeuvre”).

Extrait du registre des délibérations

 

 

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A titre indicatif, voici un exemple du buste de Pétain qui était proposé aux mairies (ici archives de Crest dans la Drôme) et le texte qui formule la demande.  

« Monsieur le Maire,
Sur demande du Ministère de l’Information, nous avons l’honneur d’attirer votre attention sur le buste officiel du Maréchal.
Fidèle reproduction des traits glorieux du Maréchal PETAIN, ce buste est l’oeuvre du maître François COGNE, Sculpteur Officiel du Chef de l’État.
Le prix est de : 525 francs, buste de 38 cm.
Vous pourrez nous adresser commande au nom du Centre d’Information, 4 boulevard Philippe PETAIN à VALENCE.
Espérant vous lire assez rapidement pour nous permettre l’approvisionnement, veuillez croire, monsieur le Maire, en l’assurance de mes respectueuses salutations. »

La proposition (…) a été faite à tous les autres maires de la Drôme. Sont-ils réticents ou freinent-ils la propagande en faveur du maréchal Pétain ce qui nécessite une circulaire de relance pour la commande d’un buste du chef de l’État ?
François Cogné, cité dans la lettre, est un sculpteur français né le 10 août 1876 à Aubin dans l’Aveyron, décédé le 9 avril 1952. Il a réalisé maints portraits officiels, deux de ses œuvres sont célèbres : la statue de Georges Clemenceau, avenue des Champs-Elysées, et le modèle de la borne de la Voie de la Liberté.
Durant la période de l’Occupation, il fut le sculpteur officiel de l’État français. Il fit le voyage de Berlin comme membre du comité Arno Breker, sculpteur officiel du Parti nazi.

source : http://museedelaresistanceenligne.org/media148-Circulaire-proposant-un-buste-du-marA

Aujourd’hui, les effigies de la République sont souvent mises de côté et la coutume s’est répandue de mettre à la place le portrait officiel du président de la République. Un changement qui en dit long sur la conception du pouvoir.

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